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11.11.03
************************* Johan Norberg : « Plaidoyer pour la mondialisation capitaliste »Edition québécoise (utilisée ici) : Institut économique de Montréal (IEDM) / Editions Saint-Martin (2003). Edition française "de France" : éditions Plon (2004). Edition originale suédoise : « Till världkapitalismens försvar » (2001). Titre anglais : « In Defence of Global Capitalism ». Traduit de l'anglais par Martin Masse. En France, il est de règle d’affirmer que les choses vont de plus en plus mal. Les pauvres sont supposés être de plus en plus pauvres, les riches de plus en plus riches pendant que le tiers-monde meurt de faim et que l’environnement est irrémédiablement saccagé pour le plus grand profit des multinationales nord-américaines. Très important également en France, l’ignorance revendiquée en matière d’économie. On peut trouver très facilement (1) des textes de gens ne connaissant rien à l’économie (et étant très fiers de cette ignorance !) qui nous proposent des remèdes censés pallier l’injustice du monde. Le fait que ces ignorants soient très souvent des fonctionnaires et que leurs idées mènent toujours à un accroissement du rôle et du pouvoir de l’Etat n’est bien sûr que pure coïncidence... Il est difficile pour un Français aujourd’hui de se rendre compte à quel point nous baignons dans la désinformation et dans la propagande idéologique gauchiste alors que même l’UMP se réclame de l’anti-mondialisation (2) tandis que le « Forum social européen » est piloté par les trotskistes de la LCR (3). Une fois de plus, c’est d’ailleurs que viendront la liberté de penser autrement et la confrontation des idées totalitaires antimondialistes avec le monde réel. Johan Norberg est suédois. Venu de l’anarchisme, il est historien des idées et défend depuis plusieurs années les bienfaits du libre-échange et de la liberté économique. Son livre « Plaidoyer pour la mondialisation capitaliste » est une brillante synthèse de tous les faits et de tous les chiffres que l’on peut opposer à nos nouveaux obscurantistes. Le monde va mal ? Pas du tout, les choses ont plutôt nettement tendance à s’améliorer. Prenons l’espérance de vie par exemple. Entre 1960 et 1998, elle est passé de 46 à 65 ans dans les pays en développement. Dans ces mêmes pays, la proportion de nouveaux-nés mourant dans leur première année est passée de 18 à 6 % entre 1950 et 1995. L’espérance de vie est directement liée à l’alimentation : la proportion de personnes sous-alimentées est passée de 37 à 18 % entre 1970 et 1996 dans le tiers-monde. Selon l’ONU, 960 millions d’habitants des pays en développement étaient sous-alimentés en 1970; ils étaient 830 millions en 1991 et 790 millions en 1996. Si l’on regarde les choses sous l’angle de la pauvreté, les chiffres sont tout aussi impressionnants. En 1820, environ 85 % de la population mondiale vivait avec moins que l’équivalent d’un dollar par jour. Cette proportion était descendue à 50 % en 1950 et à 31 % en 1980. De nos jours, on l’évalue à 20 %. Il ne s’agit pas de dire bien entendu que tout va bien et que nous vivons dans le meilleur des mondes possibles. Il existe des problèmes graves dans certains pays. Le sida continue à ravager l’Afrique, des gouvernements dictatoriaux et corrompus sont toujours ici ou là au pouvoir mais on peut dire aujourd’hui que les solutions au sous-développement sont connues. Johan Norberg consacre une grande partie de son livre à expliquer, chiffres à l’appui comment on peut lutter efficacement contre la pauvreté et c’est là que l’économie intervient. Il faut démythifier certains mots et certains concepts que la gauche a transformés en croque-mitaines. Et d’abord le marché. A partir du moment où deux personnes échangent librement le fruit de leur travail, il y a apparition d’un marché. Le marché est donc inhérent à l’être humain. L’expérience communiste prouve que lorsqu’on veut supprimer le marché, ce sont les êtres humains eux-mêmes que l’on finit par supprimer. Et puis l’économie. L’économie est l’étude des échanges entre les êtres humains, c’est donc l’étude de la vie humaine même. Disposer librement de ses biens, signer librement des contrats, proposer des biens que les gens seront libres d’acheter ou pas, c’est ça l’économie libre, c’est ça le capitalisme. Dans l’histoire du vingtième siècle, plusieurs pays se sont trouvés coupés en deux avec de chaque côté un système politico-économique différent. Il s’agit de l’Allemagne et de la Corée. Au temps du communisme triomphant, l’Allemagne de l’Est passait pour être quasiment aussi développée que l’Allemagne de l’Ouest. Il a fallu l’effondrement de l’Union soviétique et la réunification pour réaliser que la prospérité de l’est n’était qu’un mirage et un mythe propagé par les communistes et leurs complices. Le cas de la Corée est encore plus tragique. Parti de très bas (la Corée dans les années soixante est comparable à l’Angola d’aujourd’hui), le sud capitaliste a atteint aujourd’hui le niveau des pays développés européens alors que le nord communiste est en proie à une famine qui a peut-être fait deux millions de morts en quelques années. S’il y a une leçon à tirer du vingtième siècle, c’est bien que l‘économie dirigée ne fonctionne bien que pour les privilégiés du régime et leur clientèle. Il existe une corrélation forte entre le degré de liberté économique d’un pays et son niveau de développement. La liberté économique permet la croissance, l’augmentation du niveau de vie et augmente l’espérance de vie. Je ne peux citer tous les chiffres mais ils sont dans le livre et tous les lecteurs de bonne foi seront convaincus.  Et puis, il y a le problème des plus pauvres. C’est en leur nom que les antimondialistes prétendent faire la révolution. La question de leur sort réel dans un pays dont l’économie est ouverte est donc cruciale. Les chiffres sont sans appel : il n’existe pas de pays ayant réduit la pauvreté sans croissance économique. Inversement, dans tous les pays ayant connu une croissance économique soutenue, les pauvres ont vu leur situation s’améliorer. Ce sont les pays fermés et protectionnistes qui connaissent le plus grand nombre de pauvres. Un autre facteur essentiel est la protection du droit de propriété. Dans beaucoup de pays en développement, l’Etat et ses administrations ne reconnaissent pas ce que les pauvres possèdent et ont souvent construit de leurs mains (4). Il en résulte des freins souvent insurmontables au travail et au développement. Johan Norberg ne craint pas d’aborder des questions délicates comme le travail des enfants. Contrairement aux images colportées encore aujourd’hui par les manuels scolaires, les enfants n’ont pas commencé à travailler au dix-neuvième siècle pour enrichir les propriétaires de mines de charbon. En fait, dans l’histoire de l’humanité, les enfants ont toujours travaillé. Ce n’est que quand un certain niveau de prospérité est atteint que les enfants cessent de travailler car les familles n’ont plus besoin de leur travail pour survivre et peuvent alors commencer à leur donner une éducation. Ce processus est toujours vrai de nos jours. Dans les sociétés développées, les enfants ne travaillent pas, dans les sociétés pauvres, les enfants travaillent. Comme la prospérité est fonction du degré de capitalisme, plus une société est capitaliste, moins les enfants travaillent. Un phénomène un peu similaire se produit avec le taux de pollution. Plusieurs études montrent que dans un premier temps, le développement économique augmente la pollution. Dans un deuxième temps, à un certain niveau de prospérité économique, les questions d’environnement prennent de l’importance et la pollution commence à diminuer. Est-ce à dire que le libre-échange et la liberté vont triompher partout dans le monde ? Non, bien sûr, le futur n’est pas écrit, il est à construire. Le dix-neuvième siècle a connu une période de libre-échange en Europe jusqu’en 1890 environ et le développement économique a été spectaculaire. Puis les intérêts protectionnistes ont commencé à prendre le dessus et les pays développés se sont peu à peu repliés sur eux-mêmes. Quand les biens ne traversent pas librement les frontières, ce sont les soldats qui le font à leur place et il aura fallu deux guerres mondiales pour que des efforts conscients en faveur de la libéralisation des échanges puissent aboutir à travers la CEE, l’AELE, les accords du GATT et l’OMC (5). Il est dommage que l’Union européenne actuelle soit plus préoccupée par la protection et le subventionnement de ses agriculteurs que par la prospérité de ses habitants (40 % du budget total de l’Union européenne est distribué à moins de 1 % de la population)... En outre l’accès au marché des pays développés est toujours une bonne nouvelle pour les habitants des pays en développement. La monté actuelle des idées protectionnistes est inquiétante et les militants antimondialistes sont en train de recycler sous nos yeux toutes les idées héritées du marxisme en faveur de l’économie dirigée et de la mainmise de l’Etat sur nos goûts, nos valeurs et notre mode de vie. Une conclusion ? Nous aurons le développement économique et la prospérité que nous mériterons... Sylvain Notes :(1) : Un exemple québécois ici (Merci à Claire pour cette « découverte »...) (2) : « Donnant l'exemple, le président de l'UMP a assuré que le terme d'"altermondialiste" ne l'effrayait pas "si s'affirmer altermondialiste, c'est vouloir changer le cours des choses et inventer une autre mondialisation". "Personne ne peut se satisfaire du mouvement du monde tel qu'il va", a ajouté M. Juppé. Très sévère pour un monde qui va "cul par dessus-tête", le président de l'UMP a stigmatisé pêle-mêle "l'accélération des délocalisations" ou "les inégalités de développement entre Nord et Sud qui continuent de nourrir la misère, terreau de tous les extrémismes". »Extrait d’une dépêche Yahoo (Merci à Julien.) (3) : « Qui dirige ? La Ligue communiste révolutionnaire (L.C.R.) à travers une assemblée européenne de préparation (A.E.P.), un comité d´initiative français (C.I.F.) et un secrétariat à l´organisation (S.O.) se réunissant chaque semaine. La direction de ces réunions est assurée par Annick Coupé, responsable de la L.C.R., dirigeante de l´Union Syndicale G10 solidaire. Quant au comité de programme, il est animé par Sophie Zafari de la F.S.U., elle aussi membre de L.C.R., dont elle a été candidate aux élections législatives à Montreuil en 1997. » Extrait du cite "Polémia".(4) Pour en savoir plus, voir un extrait du livre de Hernando de Soto « The Mystery of Capital » ici. (5) : Voir « Libre-échange et protectionnisme » de Pascal Salin (PUF, col. « Que-sais-je ? » n°1032, 1991). Autres liens : - Le blog de Johan Norberg (merci à Mélodius) où l’on apprend notamment que le roman « Révolte sur la Lune » de Robert Heinlein fait partie de ses dix romans préférés. - "6 mythes de la mondialisation" : le texte de la conférence qu'a donné Johan Norberg le 15 novembre 2003 à Paris (merci à RonnieHayek).- Le site de l'IEDM.
28.10.03
************************* Christophe Nick : « Les Trotskistes »Editions Fayard, 2002 A un moment où ceux qui se réclament de l’action et de la pensée de Léon Trotski font beaucoup parler d’eux, du moins en France, il n’est pas inutile de faire le point sur ce qu’a été et ce qu’est réellement cette étrange famille politique que constituent ses disciples. Christophe Nick n’est pas libéral mais son livre « Les Trotskistes » est le résultat d’une enquête approfondie sur ceux qui sont peut-être les derniers sectateurs avoués d’une idéologie politique totalitaire. Encore aujourd’hui, les trotskistes demeurent largement méconnus. Ils sont souvent perçus comme étant des communistes « gentils » puisqu’ils se sont opposés à Staline, le grand méchant qui a instauré le « culte de la personnalité ». Ils inquiètent un peu parfois quand on leur prête une sorte d’influence occulte un peu similaire au rôle supposé des francs-maçons. Christophe Nick reprend le dossier au commencement. Il a rencontré de nombreux acteurs de cette histoire et dans son récit il alterne les chapitres historiques visant à expliquer comment s’est constitué le trotskisme (il remonte ainsi jusqu’en 1902, date du premier séjour de Trotski à Paris) et les chapitres consacrés aux péripéties du trotskisme et de ses différentes variantes en France. Deux axes majeurs donc à ce travail : la vie de Trotski et la dimension internationale du trotskisme d’une part ; le développement et les luttes fratricides des différents groupes français de cette mouvance d’autre part. A ceux qui croient que Trotski était le gentil et que Staline était le méchant, rappelons quelques hauts faits d’arme et quelques idées défendues par Trotski : - 1917 : après le coup d’Etat bolchevique d’octobre, les premières élections libres en Russie (et seules élections libres jusqu’aux années 80) donnent une majorité aux mencheviks et aux socialistes-révolutionnaires. Les bolcheviks dont les dirigeants sont alors Lénine et Trotski n’obtiennent que 25% des voix. Ils répliquent par la dissolution de l’Assemblée constituante et par la suppression de la liberté de la presse. Trotski écrit : « La majorité « conciliatrice » de l’Assemblée constituante n’était que le reflet politique de la sottise et de l’irrésolution des couches intermédiaires des villes et des campagnes, et des éléments les plus arriérés du prolétariat. » C’est vrai que c’est compliqué de choisir quand il y a des candidats de plusieurs partis politiques ! Les bolcheviks allaient bientôt simplifier tout cela... - 1921 : la militarisation du travail : comme l’Etat soviétique est désormais prolétarien, il est légitime pour Trotski que le travail devienne contraint et obligatoire tout comme les syndicats doivent désormais défendre l’Etat face aux travailleurs et non l’inverse. Selon la même logique, certains jours de travail « volontaires », les samedis et dimanches dits « communistes » ne seront d’ailleurs pas payés aux ouvriers... - 1921 toujours : Kronstadt. Face à la ville révoltée où les soldats ont fraternisé avec les ouvriers, Trotski décrète l’état de siège et envoie un ultimatum aux révoltés. La répression communiste fera des milliers de victimes. A cette occasion, Trotski inventera des méthodes qui seront utilisées par les communistes de tous les pays : - un réflexe de citadelle assiégée qui permet de dramatiser toute contestation ; - l’invention d’un complot qui justifie la répression ; - des mesures économiques d’urgence permettant de « lâcher du lest » face aux revendications sociales du moment ; - l’utilisation systématique du mensonge et de la langue de bois transformant les victimes du communisme en coupables. La morale de Trotski est que ce qui est bon pour le pouvoir communiste est bon en soi quelles qu’en soient les conséquences humaines et économiques... Staline conservera cette « morale » en s’identifiant lui-même au pouvoir communiste. L’autre axe du livre de Christophe Nick est le récit détaillé des péripéties du trotskisme français et de ses différentes chapelles. Il est parfois compliqué de suivre les différents épisodes de ces guéguerres permanentes mais l’auteur s’en sort bien, ses contacts dans le milieu ayant fait merveille. On comprend ainsi les différences entre la LCR (« Ligue Communiste Révolutionnaire »), le PT (« Parti des Travailleurs ») et LO (« Lutte ouvrière »), pourquoi les uns se sont réjouis de la chute du mur de Berlin et pas les autres, etc. Il nous donne également de nombreux détails sur l’entrisme que certains groupes trotskistes ont exercé dans les partis de la gauche classique (remember Lionel Jospin) ou dans certains syndicats. Ne pas oublier non plus (mais comment pourrions-nous l’oublier ? ) le nombre important de journalistes ex(?)-trotskistes dans certains organes de presse comme « Le Monde ». Le récit nous mène jusqu’au début de 2002, à la veille des dernières élections présidentielles françaises. L’auteur pensait alors qu’Arlette Laguiller ferait un bon score et n’était pas sûr qu’Olivier Besancenot pourrait même se présenter... Il ne pouvait pas prévoir la campagne de presse hostile à « Lutte ouvrière » qui a eu lieu dans les derniers mois de la campagne électorale où l’image de ce mouvement a été sérieusement malmenée pour le plus grand profit du candidat vert (Noël Mamère) et du candidat de la LCR (Besancenot). Pour mieux connaître nos ennemis ? Lisez « Les Trotskistes » de Christophe Nick ! Sylvain Autre référence :« Fusillez ces chiens enragés!.. » sous-titre : « Le génocide des trotskistes » par René Dazy (éditions Olivier Orban, 1981). Ce livre a beaucoup fait pour donner une certaine image positive des trotskistes et révèle une partie de la mentalité trotskiste car l’auteur, lui-même engagé dans cette mouvance passe bien sûr sous silence les crimes de Trotski (comme le massacre de Kronstadt) et ne peut s’empêcher de conclure que le stalinisme (comme ils disent) avait quand même ses mérites...
15.10.03
************************* Florin Aftalion : « La trahison des Rosenberg »Editions Jean-Claude Lattès (2003) Florin Aftalion est économiste et professeur de finances à l’ESSEC. Il a publié de nombreux livres dont « L’économie de la Révolution française » qui fait autorité. Il a également co-fondé et dirigé la prestigieuse collection « Libre échange » aux Presses universitaires de France. Son dernier livre publié n’a rien à voir avec l’économie puisqu’il est consacré à « l’affaire » Rosenberg qui a donné lieu à un véritable psychodrame au début des années 50. En 1950, deux citoyens américains juifs sont accusés par le FBI d’espionnage au profit de l’URSS. Julius et Ethel Rosenberg puisque c’est d’eux qu’il s’agit, auraient transmis aux Soviétiques des informations concernant les recherches sur la bombe atomique qui étaient alors menées à Los Alamos au Nouveau-Mexique. Protestant de leur innocence, les époux Rosenberg seront jugés en 1951, condamnés à mort et finalement exécutés en 1953. L’histoire pourrait être presque banale si cette affaire n’avait été utilisée par les communistes et leurs alliés pour une de ces campagnes de désinformation dont ils avaient alors le secret. Tout au long des années 1952 et 1953, une campagne mondiale va être menée pour exiger la grâce des condamnés et pour fustiger les Etats-Unis. On prétendra que les Rosenberg sont innocents, que cette affaire révèle l’antisémitisme latent des Américains (alors que le juge qui les a condamnés est lui-même juif), que les Etats-Unis sont devenus fascistes, bref, tout sera bon pour salir l’image de ce pays. En France, un grand rassemblement organisé au Vélodrome d’Hiver à Paris sera le point d’orgue de cette campagne. Le livre de Florin Aftalion a le mérite de rappeler tout cela à la lumière des nouveaux documents de l’époque aujourd’hui disponibles tels les archives du FBI rendues publiques en 1975 et les archives du KGB que des historiens ont pu consulter de 1993 à 1996. D’autres documents sont utilisés comme les archives de la NSA et les livres de mémoires rédigés par plusieurs anciens espions soviétiques. Il apparaît que les Rosenberg étaient bien des espions, qu’ils étaient bien membres du Parti communiste américain (le « CPUSA ») et que les informations qu’ils ont transmises à leurs maîtres soviétiques ont été appréciées et utilisées. Plusieurs éléments très intéressants de la mentalité communiste sont bien mis en évidence dans cette affaire. Et d’abord l’incroyable entêtement des Rosenberg. S’ils avaient parlé, ils auraient très probablement sauvé leur vie. Dans le cas d’Ethel, quand même moins impliquée, le fait est certain. Il ne faut pas oublier qu’ils avaient deux enfants qu’ils ont ainsi d’une certaine façon en choisissant la mort, abandonnés... Ce n’est que plusieurs mois après leur arrestation et rassurés sur leur volonté de garder le silence à tout prix que les communistes américains et les soviétiques prendront la tête de l'incroyable campagne anti-américaine dont je parlais plus haut. Intéressant aussi, le comportement des autorités américaines après la Seconde Guerre Mondiale. Les services de renseignement américains ont été très efficaces dans la lutte contre les Allemands et contre les Japonais. En revanche, les Etats-Unis ont été une véritable passoire pour les espions communistes. Ce n’est que peu à peu dans les années d’après-guerre que les Américains vont réaliser l’ampleur de la pénétration communiste sur leur territoire. La lutte contre l’espionnage soviétique sera malgré tout entravée par les sympathies que beaucoup d’Américains éprouvent pour l’URSS de Staline et par la volonté des administrations démocrates de ne pas reconnaître qu’elles ont pendant des années péché par naïveté... Florin Aftalion a écrit là un livre très intéressant et utile en ces temps où la réhabilitation de l’URSS est à la mode et où la « Guerre froide » est couramment vue comme l’expression d'une prétendue hystérie anticommuniste des Américains. Sylvain P.S. : quand les éditeurs français se décideront-ils à mettre systématiquement un index à la fin des livres qu'ils publient ? Liens :Présentation de ce livre dans le magazine « Historia » par Eduardo Mackenzie.Les excellentes « Chroniques américaines » de Florin Aftalion.Autres références :1 : « Les Rosenberg devaient-ils mourir ? » par Schofield Coryell in « Le Monde diplomatique » de mai 1996. Article extraordinaire et représentatif de ce que peuvent dire encore de nos jours des gens qui se sont trompés pendant cinquante ans, qui se sont fait manipulés, qui ont aimé ça et qui sont incapables de le reconnaitre aujourd’hui. 2 : « Les Rosenberg étaient coupables » par Rémi Kauffer in Historia Spécial n°44 : « Révélations des archives soviétiques » (Novembre/Décembre 1996) ; 3 : "Culpabilité des Rosenberg : la fin du doute", une présentation du livre de Florin Aftalion par Eduardo Mackenzie, in Historia n°682 (Octobre 2003).
12.7.03
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Yves Montenay : "Le mythe du fossé nord-sud"
Sous-titre : Comment on cultive le sous-développement.
Editions Les Belles Lettres (2003).
Face au flot continu de textes nous expliquant combien la mondialisation libérale est diabolique et combien les Occidentaux sont méchants, il paraît de temps en temps un livre nageant à contre-courant (si j’ose dire). C’est le cas ici de cet essai sur les causes du maintien dans la pauvreté et le sous-développement d’une grande partie de l’humanité.
Pas de scoop dans cet ouvrage car les causes de la misère sont connues.
En tout premier, l’idéologie socialiste des élites formées en Occident de nombreux pays lors des indépendances. De nombreux pays du Tiers-Monde paient encore aujourd’hui les méfaits de la collectivisation de l’agriculture par exemple (Ethiopie, Algérie, etc.).
En deuxième, l’éducation, quand elle existe, trop souvent traditionnelle voire traditionaliste alors que le développement ne peut se faire sans ouverture au monde extérieur.
En troisième, la « mauvaise gouvernance » c’est-à-dire les comportements prédateurs des hommes de l’Etat : prévarication, corruption, incompétence, détournements de fonds qui sont courants dans les pays les plus pauvres.
Enfin, il ne faut pas sous-estimer le poids de la guerre et donc l’importance démesurée des dépenses d’armement qui saignent à blanc certains pays.
Yves Montenay s’attaque bien sûr (c’est la première partie de son livre) aux mythes tiers-mondistes qui font la fortune des gauchistes et des anti-mondialistes de chez nous. Non, le capitalisme n’apporte pas la misère, au contraire. Non, le commerce dit « équitable » n’est pas la solution, il ne ferait qu’encourager la stagnation des techniques et l’arrêt de l’innovation et nourrir une bureaucratie déjà pléthorique.
A noter un excellent chapitre quatre sur le problème du supposé surpeuplement.
Là où l’auteur me semble faible, c’est dans une certaine idéalisation de l’Occident et des Etats qui nous gouvernent. Certes, nous vivons dans l’ensemble assez bien, mais la misère et le chômage existent aussi chez nous. Le poids croissant de l’Etat, son interventionnisme constant, ses lois de plus en plus liberticides portent en eux le déclin et le blocage progressif de ce capitalisme qui nous a fait tant de bien.
Tel quel et sur le thème précis du sous-développement, ce livre est une bonne introduction à une pensée libérale qu’on aura trop vite fait d’étiqueter « de droite ». Yves Montenay sait de quoi il parle et comme tous les libéraux il est profondément sensible à la vraie vie des vrais gens. Son essai semblera donc non-conformiste à beaucoup et ouvrira donc des perspectives intéressantes.
Les libertariens quant à eux souligneront les limites conceptuelles de l’exercice et appelleront Yves Montenay à aller jusqu’au bout de son raisonnement. Mettre en cause l’Etat prévaricateur c’est bien, constater que tout Etat par définition est prévaricateur, c’est mieux.
Sylvain
31.5.03
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Charles Gave : « Des lions menés par des ânes »
Sous-titre : « Essai sur le crash économique (à venir mais très évitable) de l’Euroland en général et de la France en particulier ».
Edition Robert Laffont (2003).
Avertissement : ce livre parle d’économie, un domaine assez nouveau pour moi. Malgré sa grande clarté d’exposition, je ne suis pas sûr de tout bien maîtriser et toute erreur ou mauvaise interprétation dans ce compte-rendu me serait imputable.
Nous savons que la situation est grave. Chômage, pauvreté, crise culturelle et morale, climat de pré-guerre civile, les raisons d’être pessimiste sur notre avenir et celui de nos pays européens ne manquent pas.
Pourquoi et comment en sommes-nous arrivés là ? Et peut-être surtout jusqu’où cela peut-il aller ? C’est le sujet du livre de Charles Gave.
La principale qualité de ce livre est la pédagogie. Truffé de graphiques soigneusement conçus, il est d’une clarté extraordinaire. Dans un pays comme la France où l’ignorance en matière d’économie passe pour une vertu, l’auteur réussit le pari d’initier son lecteur à des réalités économiques qui même ignorées dirigent en grande partie nos vies.
Contrairement à ce que prétendent les gauchistes, tout n’est pas politique mais toute activité humaine relève de l’économie dans le sens où les échanges libres avec d’autres êtres humains nous sont vitaux.
Ce livre est divisé en deux parties.
La première « Le Constat » fait le point sur la situation actuelle. Je ne peux bien sûr pas tout citer mais quelques chiffres pour se faire une idée :
- le taux de croissance moyen de la France est passé de 2,2 % de 1982 à 1992 à 1,8 % de 1992 à 2002. Ce ralentissement se traduit par un million de chômeurs supplémentaires. Pour les mêmes périodes, la Grande-Bretagne passe de 2 à au moins 2,5 % et les Etats-Unis passent de 3 % à 3,5 %.
- En 1981, les principaux pays développés avaient tous un taux de chômage atteignant 7 % de la population active. En 2001, ce taux était de 3 % en Grande-Bretagne, 6 % aux Etats-Unis (après être descendu jusqu’à 4 % l’année précédente), 9 % en France.
- Depuis 1995, le chômage de longue durée a doublé en Allemagne et a baissé des trois quarts aux Etats-Unis.
- Entre 1982 et 2002, le nombre de chômeurs britanniques a baissé de deux millions alors que le nombre de chômeurs français a augmenté de 250 000.
- Le taux de corrélation entre la baisse du chômage et la création d’emplois est de 97 %. Ce qui veut dire que les concepts à la mode comme le « partage du travail » ne représentent que
3 % de la baisse du chômage quand baisse il y a.
- Il y a corrélation évidente entre taux de croissance et variation de l’emploi avec un décalage de 6 mois.
- Entre 1978 et aujourd’hui, le revenu français moyen a augmenté de 50 % alors qu’il a quasiment doublé en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis.
- Entre 1982 et 2002, le coût de fonctionnement de l’Etat français a augmenté de 50 %.
Donc le constat est accablant : de plus en plus de richesses accaparées par l’Etat français, le maintien à un haut niveau du chômage et une baisse relative du niveau de vie.
La deuxième partie du livre s’intitule « La recherche du criminel » et Charles Gave va tenter de découvrir les causes de cette situation.
Il commence tout d’abord par nous expliquer l’importance du rôle des entrepreneurs. Prenant de grands risques pour un gain futur bien incertain, ils sont les piliers du développement et du progrès. Charles Gave explique ensuite le rôle des « entremetteurs » financiers (essentiellement les banquiers) et l’utilité des rentiers qui prêtent leur argent mais sans assumer les risques des actionnaires.
Dans une économie libre et efficace, les actionnaires doivent toucher un dividende supérieur au taux d’intérêt versé aux rentiers. Il y a une corrélation nette (avec un décalage d’un an) entre les revenus des actionnaires et le taux de chômage. Les Etats-Unis sont le parfait exemple de ce phénomène :
« Si le rentier touche plus que l’entrepreneur soit à long terme, soit à court terme, l’économie cesse de croître » (page 109).
Grâce à une action intelligente de la Banque centrale américaine, les difficultés passagères ne se transforment pas en crise grave.
L’auteur va ensuite examiner de près deux pays qui justement sont dans une situation désastreuse depuis des années.
Premier cas : le Japon. On l’oublie parfois aujourd’hui mais le Japon est la deuxième puissance économique mondiale. Aujourd’hui, après trois récessions en onze ans, le système bancaire et financier japonais est en faillite. Pour Charles Gave, la cause de cette situation est l’indépendance totale de la Banque centrale japonaise qui a maintenu à tout prix des taux d’intérêt artificiellement élevés. Le résultat est la déflation : baisse des prix, baisse du PIB, endettement généralisé, baisse des recettes fiscales et au bout du chemin la faillite de l’Etat (comme en Argentine il y a peu).
Ensuite : l’Allemagne. En 1989, quelque chose d’extraordinaire est arrivé. Malgré les efforts du président François Mitterrand qui a soutenu jusqu’au bout la dictature communiste de R.D.A., les deux Allemagnes se sont réunifiées et Helmut Kohl a converti les Marks d’Allemagne de l’Est qui ne valaient à-peu-près rien en bons Deutsche Mark de l’ouest. Mais la Bundesbank (la Banque centrale allemande) ne l’a pas entendu ainsi et a entamé une politique visant à supprimer la masse monétaire supplémentaire ainsi créée. Son arme ? Le maintien à un niveau trop élevé (en fait plus élevé que la croissance du PIB) des taux d’intérêt à court terme. Ce niveau élevé a pour conséquences principales des difficultés dans le remboursement des dettes et des rétributions des actionnaires insuffisantes. Suivront donc des faillites, des investissements en baisse et une masse monétaire qui se contracte : objectif atteint pour la Bundesbank.
L’insuffisance des investissements a elle-même ensuite des conséquences graves comme la faible progression de la productivité. Or,
« sans hausse de la productivité, pas de hausse générale du niveau de vie » (page 138).
La situation de la France n’est pas meilleure. Pour résumer, la rentabilité du capital investit dans notre pays est insuffisante pour que le chômage puisse baisser durablement.
Mais comment expliquer ces politiques économiques ou monétaires catastrophiques ? Pour l’auteur, la cause est l’existence d’une nomenklatura de technocrates qui méprisent la démocratie, la liberté et la notion de contrat librement consenti entre deux personnes. Cette nomenklatura a jadis inventé la « raison d’Etat » au nom de laquelle bien des crimes ont été commis et n’a qu’un but aujourd’hui : la constitution d’un Etat européen placé sous son contrôle. Et il y a urgence car depuis l’effondrement du communisme en Europe centrale, un vent de liberté aurait pu souffler sur le vieux continent mais jusqu’à présent, rien n’a réussi à s’opposer à la constitution de ce nouveau monstre étatique.
Notre problème principal est cependant que rien n’est réglé. En Europe, et ce depuis 1992, la rente a constamment été supérieure à la croissance du PIB, l’indice des prix à la production est en baisse et la valeur des intermédiaires financiers s’effondre. La déflation est pour bientôt et la nomenklatura européenne échouera dans son projet technocratique comme a échoué avant elle la nomenklatura soviétique.
Ce livre est donc un cri d’alarme. Charles Gave cite Frédéric Bastiat et Fridriech Hayek, c’est dire dans quelle famille de pensée il se situe. Il a de l’humour, un humour souvent grinçant.
Je recopie les dernières lignes de son ouvrage :
« Attachez vos ceintures, la météo annonce de considérables trous d’air, le pilote de l’avion est fou et pense qu’il est aux commandes d’une locomotive. »
Sylvain
Liens :
Un article de Bogdan Calinescu qui présente aussi ce livre.
"Le pays confronté aux pesanteurs du communisme rampant", un article récent de Charles Gave.
"Attachez vos ceintures" par Alain Madelin, présentation de ce livre parue dans Le Figaro du 4 juillet 2003.
30.4.03
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Pascal Salin : « Libéralisme »
Edition Odile Jacob (2000)
Un livre important que ce « Libéralisme » de Pascal Salin, c’est lui qui m’a converti au libéralisme et je ne suis pas le seul !
Il y a si peu d’auteurs français libéraux de nos jours que ce livre paru chez un éditeur renommé a fait l’effet d’une bombe. Il y avait bien eu bien sûr les essais d’Henri Lepage en Poche Biblio dans les années 70 et 80 ainsi que quelques titres édités aux « Belles Lettres » un peu plus tard mais bon, les auteurs libéraux français doivent avoir l’impression de prêcher dans le désert (ce n’est d’ailleurs peut-être pas seulement une impression...).
Pascal Salin est professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine. Il a déjà publié une demi-douzaine de livres sur différents problèmes économiques comme la monnaie ou le libre-échange vs le protectionnisme. Il intervient régulièrement dans la presse (notamment dans « Le Figaro ») et a appelé à voter Alain Madelin aux élections présidentielles françaises de 2002.
Mais revenons maintenant à ce fort volume de 500 pages.
Organisé en cinq parties, tous les aspects du libéralisme sont examinés dans un ordre à la fois logique et didactique.
Pascal Salin commence par rappeler le niveau d’exigence qui est le sien : le libéralisme est le seul véritable humanisme et il s’emploie à le prouver. Contrairement à ce que l’on croit souvent, le libéralisme n’est pas qu’économique, il est d’abord une éthique et une morale de la liberté individuelle et de la responsabilité. Ses adversaires sont toutes les idéologies collectivistes ou « constructivistes » appelées ainsi car elles prétendent pouvoir construire un ordre rationnel volontaire organisé par une minorité « éclairée », comme si la société était une machine. Le problème du constructivisme est qu’il ne peut fonctionner qu’avec des êtres humains parfaits bien différents des « hommes réels ». De là, les appels répétés à construire un homme nouveau qu’on trouve dans le nazisme et le communisme par exemple. De là, également, la tentation de supprimer par la violence les « hommes anciens » irrécupérables...
Dans un système social-démocrate comme celui dans lequel nous vivons, ce constructivisme se traduit par la mise en place d’un Etat omniprésent qui tente de régir tous les aspects de notre vie, par la prolifération de lois et règlements de toutes sortes qui finissent par donner un Droit incompréhensible, par des décisions arbitraires prises sous la pression des groupes d’intérêts les mieux organisés et les plus puissants et par des atteintes répétées et de plus en plus graves à la propriété privée légitime et à la liberté d’expression.
Dans une deuxième partie, Pascal Salin examine les fondements du libéralisme que sont la propriété, la responsabilité et la liberté.
La propriété privée, si décriée (« La propriété, c’est le vol » disait Proudhon, le mot a fait fortune), correspond pourtant à la vraie compréhension de l’activité humaine. L’être humain est d’abord propriétaire de son corps. Il ne peut être réduit en esclavage. Ensuite, il est propriétaire des richesses qu’il a produites et personne ne peut légitimement les lui prendre. Que les voleurs s’appellent gangsters ou agents des impôts ne fait aucune différence.Enfin, l’être humain est propriétaire des biens qu’il a volontairement échangés. Car contrairement à ce que croient les socialistes, le problème n’est pas la juste répartition de la richesse créée on ne sait pas trop comment, mais le respect de l’imagination et de l’ingéniosité des hommes dans l’invention et la création de cette richesse. C’est seulement dans ces conditions que la prospérité du plus grand nombre est possible, c’est en tout cas ce que nous enseigne l’histoire de l’Occident depuis le 18 ème siècle.
Dans une véritable société libre, la question de la définition et de la précision des droits de propriété légitimes sera nécessairement une question très importante.
La responsabilité est indissociable de la liberté. Il est normal que les hommes subissent les conséquences aussi bien positives que négatives de leurs actes et qu’ils soient prêts à les assumer. C’est ce qui rend la vie en société possible.
A contrario, l’être humain assisté que nous rencontrons si souvent de nos jours n’est pas libre.
La troisième partie du livre est consacrée justement à l’organisation sociale légitime pour un libéral. Pascal Salin redéfinit ce qu’est réellement une entreprise (ce n’est pas inutile, loin de là, vu l’inculture économique généralisée dans la France d’aujourd’hui) et examine différents processus économiques comme la formation des monopoles par exemple. Il faut oublier ce que nous répètent les médias sur ces questions car il ne s’agit que de désinformation.
La quatrième partie s’intitule : « La restauration de la responsabilité ». Question cruciale : après avoir posé les bases morales et éthiques du libéralisme, il faut maintenant proposer des solutions concrètes aux problèmes de l’heure.
L’auteur examine successivement des problèmes très actuels comme :
-l’immigration (« la liberté d’immigrer, un droit fondamental »),
-la légitimité éventuelle de l’existence des « espaces publics »,
-la liberté de rouler (problème des lois criminalisant des comportements qui ne nuisent pas forcément à quelqu’un),
-le problème de savoir si la protection sociale est préférable à la protection individuelle (réflexion très importante en ces temps où le déficit de la sécurité sociale fait périodiquement la une des journaux sans qu’on arrive à discerner une solution valable),
-le problème qui devient strident de la « protection » de l’environnement. Pascal Salin raconte par exemple l’histoire extraordinaire de ce Britannique qui avait réussi à créer des fermes dans lesquelles il élevait des tortues marines pour leurs écailles. Une réglementation d’inspiration écologiste est passée par là : les tortues marines étant désormais protégées, les fermes ont dû fermer mais comme le braconnage subsiste et ne pourra jamais être totalement supprimé, les malheureuses tortues sont plus menacées que jamais...
La cinquième et dernière partie du livre examine des problèmes dont les bien-pensants nous disent qu’ils relèvent de la compétence exclusive de l’Etat (ou des Etats) : les impôts (expression parfaite de la violence étatique), les politiques macro-économiques (qui sont une véritable escroquerie intellectuelle, qui n’ont jamais eu le moindre effet positif mais qui permettent aux hommes de l’Etat de justifier et d’accroître sans cesse leur pouvoir) et la mondialisation (devenue le croque-mitaine des esprits totalitaires d’aujourd’hui).
A de nombreuses reprises dans ce livre, Pascal Salin rend des hommages appuyés aux grands intellectuels libéraux qu’ont été Frédéric Bastiat, Ayn Rand, Ludwig von Mises, Murray Rothbard et Friedrich Hayek. Il réactualise de façon brillante leur message d’espoir et d’optimisme en l’avenir de l’homme.
Ce livre est donc une synthèse originale servie par une écriture à la fois riche, claire et précise.
Sylvain
Extraits :
« On oublie par ailleurs souvent que raisonner de manière scientifique ne consiste pas à écrire des équations, mais d’abord à faire un effort conceptuel, à savoir de quoi on parle, à être capable de préciser le sens des concepts que l’on utilise et à développer rigoureusement un raisonnement. Et l’on s’aperçoit alors que bien souvent on erre dans un brouillard de mots et qu’on ne sait pas très bien d’où l’on vient et où l’on va, faute d’une discipline de pensée. »
Pascal Salin : « Libéralisme », page 13
« En réalité, la seule victoire de l’époque actuelle est celle de la social-démocratie, c’est-à-dire la combinaison de l’omnipotence d’une minorité élue et de l’économie mixte (définie non pas seulement par l’existence de nombreuses activités étatiques, mais aussi par une fiscalité forte et discriminatoire ou des réglementations tentaculaires). On est loin de la liberté individuelle. Ce qui est vrai, c’est que cette social-démocratie manque singulièrement d’appui idéologique et de souffle spirituel. Elle est une sorte d’armistice dans la guerre civile des intérêts organisés. Mais elle n’est pas, elle ne peut pas être une fin des idéologies. Son absence de relief intellectuel ne doit pas cacher qu’elle s’inspire d’une « philosophie » particulièrement contestable : elle traduit la domination du pragmatisme et du scepticisme et pour cette raison même, elle ne peut pas annoncer la fin de l’idéologie. »
Pascal Salin : « Libéralisme », page 22
« Comme nous le savons, la justification fondamentale du marché, ou plus précisément d’un système de droits de propriété privés et de choix individuels, n’est pas l’efficacité d’un tel système - pourtant indéniable - ou sa capacité à assurer le « bien commun ». Sa justification est d’ordre moral : le marché fondé sur des droits de propriété légitimes est « juste » parce qu’il est conforme à la nature humaine et qu’il permet donc l’exercice de la responsabilité individuelle. »
Pascal Salin : « Libéralisme », page 330
29.4.03
************************* David Friedman : « Vers une société sans Etat »Ed. Les Belles Lettres (1992). Edition originale : « The Machinery of Freedom » (1989). Traduction : Françoise Liégeois. « Dans l’état socialiste idéal, le pouvoir n’attirera pas les fanatiques du pouvoir. Les gens qui prennent les décisions n’auront pas la moindre tendance à favoriser leurs intérêts personnels. Il n’y aura pas moyen, pour un homme habile, de détourner les institutions pour les mettre au service de ses propres fins. Et on verra les crocodiles voler. »David Friedman : « Vers une société sans Etat », page 165 Ah ! L’Etat, cette construction monstrueuse qui nous opprime, menace nos libertés, nous rançonne, qui prétend monopoliser l’usage de la violence pour notre propre bien et qui finira par diriger chacun des actes de notre vie si nous le laissons faire... L’Etat qui fait tout pour penser à notre place... Ce mythe, cette fiction qui est la principale cause des guerres du vingtième siècle... L’Etat ? Ou plutôt les hommes de l’Etat, car l’Etat comme entité abstraite n’existe pas alors que les présidents de la république, les gouvernements, les fonctionnaires, les ministres et autres parasites de toutes sortes, existent bien, eux et ne se laissent pas facilement oublier ! La question centrale devient donc : comment se passer de l’Etat ? Comment arriver à le supprimer ? Par la Révolution ? Par une évolution progressive ? Question difficile, certes mais pour paraphraser quelqu’un qui a dit « ce n’est pas parce que c’est difficile qu’il ne faut pas le faire », je dirai que ce n’est pas parce qu’il n’est pas facile d’imaginer une transition vers une société sans Etat qu’il faut s’empêcher d’y réfléchir. David Friedman est le fils du célèbre économiste libéral Milton Friedman. Il est lui aussi économiste et nous livre dans cet ouvrage sa réflexion sur ce que serait une société où les hommes seraient vraiment libres de mener leur vie sans embêter leurs voisins. Utopique, n’est-ce pas ? La première partie est une défense et illustration de la propriété privée et donc de la liberté d’entreprendre qui sont les seuls fondements connus de la prospérité. Attention, la propriété privée, ce n’est pas n’importe quoi. Pour résumer, c’est d’abord le droit sur sa propre personne puis le droit sur sa propre production et enfin, le droit sur ce que vous échangez volontairement avec les autres. Sujet très important, la « question sociale » n’est pas esquivée, au contraire et l’auteur montre de façon très convaincante que tout le monde serait gagnant dans une société libre. Il existe des arguments très forts pour prouver que les crises économiques, notamment la grande crise de 1929, sont dues aux interventions intempestives et surtout incompétentes des hommes de l’Etat. Imaginez l’histoire du XXème siècle sans cette crise économique en 1929... La deuxième partie est une illustration concrète de ce que serait le démantèlement progressif de l’Etat. Contrairement à ce que l’on croit souvent, il a existé et il existe encore de nombreux « services publics » aux Etats-Unis. David Friedman passe en revue certains d’entre eux et propose de les privatiser. Il commence par les écoles et les universités et poursuit avec les rues (si, si, c’est possible !), la Poste et le programme spatial. On imagine la diversité des situations... Entre deux, quelques réflexions sur la véritable fonction des réglementations étatiques, la démocratie, etc. « Imaginez cent personnes assises en cercle, chacune ayant sa poche pleine de pièces de un cent. Un politicien marche à l’extérieur du cercle, prenant un cent à chacun. Personne n’y prête attention : qui se soucie d’un cent ? Lorsqu’il a fini le tour du cercle, le politicien jette 50 cents devant une personne, qui est ravie de cette aubaine inattendue. On recommence le processus, en terminant avec une personne différente. Au bout de cent tours, chacun se retrouve plus pauvre de 100 cents ; plus riche de 50 cents, et heureux. »David Friedman : « Vers une société sans Etat », page 164 La troisième partie est la description d’institutions viables dans un cadre libertarien. Comment assurer sa sécurité, faire appel à la justice et définir le Droit dans une société libre ? Par le marché et la concurrence, toujours dans le respect de la propriété privée légitime bien sûr. Si des boulangeries privées et concurrentes produisent un pain en général d’excellente qualité, pourquoi des entreprises privées et concurrentes de protection individuelle ne produiraient-elles pas une sécurité d’excellente qualité et pourquoi des tribunaux privés et concurrents ne produiraient-ils pas un Droit d’excellente qualité ? Je sais, au début ça choque mais en y réfléchissant, en étudiant l’histoire et le fonctionnement des Etats aussi bien anciens que modernes, il vaut la peine de se poser ces questions et on arrive à des conclusions extraordinaires. Enfin la quatrième partie est constituée d’articles consacrés à divers problèmes sans lien entre eux. Cela va d’une critique de l’utilitarisme au problème de la monnaie en passant par le Droit dans l’Islande médiévale et un chapitre consacré à G.K. Chesterton. Les centres d’intérêt de David Friedman sont très divers et il parvient à chaque fois, me semble-t-il, à renouveler le sujet. Ce qui est passionnant dans ce livre, c’est que l’auteur est toujours tourné vers le concret. Peu de grands principes ici mais une foule de réflexions sur ce que serait la vie réelle dans une société libertarienne. Aucune question difficile n’est esquivée, l’auteur n’hésite pas à faire part de ses interrogations et même parfois de ses doutes (sur la défense nationale par exemple), d’où un sentiment de grande honnêteté intellectuelle et une approche des problèmes des plus stimulante. Sylvain P.S. : ne pas rater l’annexe 2 qui s’intitule « Mes concurrents » et qui est une mine de renseignements bibliographiques et de bonnes adresses sur le libertarianisme. P.P.S. : je signale aux amateurs de Science Fiction que l’excellent Robert Heinlein fait partie des dédicataires de ce livre. Une dernière citation : « Ne demandez pas ce que l’Etat peut faire pour vous. Demandez ce que les hommes de l’Etat sont en train de vous faire. »David Friedman : « Vers une société sans Etat », page 33 NOUVEAU : le blog de David Friedman est ICI.
************************* Murray Rothbard : « L’éthique de la liberté »Edition Les Belles Lettres (1991). Edition originale : « The Ethics of Liberty », 1982, nouvelle édition en 1989. Traduction : François Guillaumat et Pierre Lemieux. Et voilà, je m’attaque à l’un des classiques de la philosophie politique libertarienne (il fallait bien que ça arrive). Cet ouvrage est donc une tentative pour fonder philosophiquement et en Droit la Liberté. La première partie est consacrée au « Droit naturel ». Il s’agit de la partie la plus abstraite, la plus proprement philosophique aussi. Murray Rothbard réaffirme l’existence d’une « nature humaine » qui est à l’origine d’une éthique objective de la Liberté. A noter que le concept de « nature humaine » a été redécouvert et réhabilité par les découvertes des sciences cognitives. Il explique également la différence et l’opposition entre le « droit positif » que nous connaissons et le « Droit naturel » qui est le seul droit juste. La deuxième partie est le morceau principal de cette « Théorie de la Liberté ». L’auteur définit les droits de propriété légitimes et l’échange volontaire avant d’examiner des problèmes concrets comme la légitime défense, la propriété de la terre (problème fondamental dans certains pays), l’information, etc. Il s’attaque également à des problèmes difficiles comme les droits des enfants et critiquent violemment des thèmes à la mode comme les prétendus « droits des animaux ». L’ensemble offre un panorama théorique impressionnant et se veut optimiste dans la possibilité d’inscrire concrètement les idées de la révolution libertarienne. La troisième partie est consacrée au problème de « l’Etat contre la liberté ». Tout est dit, l’Etat est par définition liberticide, fondé sur la violence et le mensonge, il n’a aucune légitimité. Court mais efficace... et tellement vrai ! La solution est donc nécessairement la suppression totale de l’Etat, toute tentative d’établissement d’un « Etat minimal » étant vouée à l’échec car tout Etat a d’abord pour fonction de se protéger lui-même et, ensuite de grossir le plus possible. Dans une quatrième partie, M. Rothbard examine des théories de la Liberté élaborées par d’autres auteurs. Parmi eux, sont ainsi sévèrement critiqués Von Mises, Hayeck et Nozick. Dans une trop courte cinquième partie, l’auteur esquisse ce que serait une stratégie pour faire advenir la société libertarienne de ses rêves, ce qui ne sera pas une mince affaire. Il s’agit bien d’un projet révolutionnaire et Rothbard examine d’ailleurs brièvement certaines caractéristiques des mouvements marxistes. Je voudrais mentionner deux points qui me paraissent soulever des difficultés : 1 : Dans le chapitre 14 (deuxième partie), l’auteur pose le problème du Droit concernant les enfants. Les parents sont-ils vraiment « propriétaires » (même avec des limites) de leur(s) bébé(s) comme l’affirme Rothbard ? L’avortement est-il vraiment légitime ? Je n’en suis pas sûr. Mais il est vrai qu’il faut toujours soigneusement distinguer ce qui relève du Droit de ce qui relève de nos propres préférences morales. 2 : Dans le chapitre 25 (troisième partie), Murray Rothbard examine le problème des relations internationales entre Etats et trouve bon tout ce qui peut affaiblir l’Etat qui nous opprime. Il trouve normal la lutte en faveur du désarmement nucléaire en donnant comme raison que l’usage de telles armes est injuste car ne permettant pas de cibler les agresseurs et uniquement eux. Je regrette qu’il n’examine pas le cas historiquement avéré où l’Etat dont nous sommes victimes est en concurrence avec d’autres Etats qui oppriment beaucoup plus durement leur propre population et ne demandent qu’à élargir le cercle de leurs victimes. Le premier résultat d’un désarmement nucléaire unilatéral des Etats-Unis dans les années 40 à 80 aurait été un renforcement du communisme mondial et peut-être sa victoire définitive. La question mérite au moins d’être posée. Ce livre est passionnant de bout en bout, il remet en cause radicalement toutes les idées qui nous entourent. Murray Rothbard peut paraître un peu extrémiste mais il est cohérent et ses raisonnements sont solides. Une lecture indispensable. P.S. : je remercie mélodius de son insistance à recommander la lecture de ce livre. Il s’agit vraiment d’un « classique ». Sylvain
20.4.03
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Guy Milière : "L'Amérique monde : les derniers jours de l'empire américain"
Ed. François-Xavier de Guibert (2000)
Préface de Pascal Salin.
Au milieu du flot de boue et de haine qui submerge les médias et l'édition française dés qu'il est question des Etats-Unis, je voudrais rappeler l'existence de cet essai qui tranche radicalement par son sérieux et son honnêteté.
Guy Millière connait bien les Etats-Unis et son récit est fascinant. Il examine à travers ses lectures et ses rencontres la réalité américaine selon un point-de-vue libéral.
Il consacre ainsi des chapitres à l'économie, la finance, l'éducation, la santé, la religion, etc.
Il n'esquive pas, au contraire, les sujets qui, ici en France, servent à démontrer que les Américains sont vraiment mauvais comme la pauvreté, le racisme et la culture. Et il arrive à prouver, me semble-t-il, que ce qu'on entend couramment est faux ou déformé. Les Etats-Unis ne sont pas le paradis sur terre, bien sûr, mais ils sont ce qui s'en rapproche le plus, un signe indubitable (parmi d'autres) étant l'immigration qui est toujours à un haut niveau aux USA.
En passant, Guy Mollière nous explique combien Ronald Reagan a été un grand président et nous éclaire sur le fonctionnement de la justice américaine, un autre domaine systématiquement mal-compris chez nous.
Les livres "objectifs" ou "favorables" à l'Amérique étant rarissimes en France, la lecture de ce bouquin m'a vraiment fait très plaisir.
Sylvain
PS : une curiosité quand même : le sous-titre !... car à lire ce livre, l'"empire américain" a encore de beaux jours devant lui !
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Ronald Reagan : « Ecrits personnels »
Editions du Rocher (2003).
Préface d’Alain Griotteray.
Traduction : Guy Millière.
Après avoir été gouverneur de la Californie de 1967 à 1975, Ronald Reagan fut président des Etats-Unis de 1981 à 1988. Guy Millière présente et traduit avec ce livre un recueil de textes écrits par Reagan lui-même.
La plupart de ces textes sont des chroniques lues à la radio dans les années 75 à 79, mais il y a quelques textes plus récents comme l’adieu de Reagan qui date de 1994 (après qu’on lui ait diagnostiqué une maladie d’Alzheimer) et d’autres remontant à son enfance.
Reagan a écrit un peu sur tous les sujets et les textes présents ici sont classés en plusieurs parties : la philosophie de Reagan, politique étrangère, économie et politique intérieure, autres écrits.
En politique étrangère, Reagan recommande la plus grande fermeté face au péril et à la subversion communiste. Il faut se rappeler que dans les années 70, nombreux étaient ceux qui pensaient que l’Union soviétique et ses satellites avaient fait la preuve de la supériorité du socialisme. La lucidité de Reagan et la justesse de son diagnostic sont frappants : pour lui, le communisme est une aberration dont les jours sont comptés. Ce n’est pas l’URSS qui est puissante, ce sont surtout les Américains et leurs alliés qui se sont affaiblis.
En économie, on retrouve la même lucidité. Dénonciation de la « planche à billet », de l’interventionnisme croissant des politiques dans tous les aspects de la vie quotidienne, de l’emballement dans la production de lois et de règlements en tous genre que personne ne maîtrisent plus, du « politiquement correct » dans l’éducation, etc. Il critique même la politique des subventions publiques aux agriculteurs !
Ces critiques sembleront classiques, et parfois insuffisantes, aux libéraux que nous sommes mais Reagan est devenu président par la suite et a donc pu appliquer, au moins en partie ses idées. Les Américains n’y ont trouvé que des avantages (baisse incroyable du chômage, diminution de la pauvreté, expansion économique, innovations technologiques, etc.). Cet essor économique, ainsi que la relance consciente de la course aux armements, sera l'une des causes de la fin du communisme en URSS.
Ce qui est extraordinaire, c’est que nous, en France, en sommes toujours au même point. La plupart des critiques reaganiennes des années 70 sont toujours valables dans la France actuelle. Pas étonnant si la France bat des records de chômage et de pauvreté et si les libertés sont toujours plus menacées !
Donc, pas d’erreur, la vision de Reagan est bien « libérale classique » et non libertarienne. L’Etat doit se recentrer sur ses missions de protection intérieure et extérieure et laisser les gens, « nous, le peuple », comme disent les Américains, vivre leur vie.
Un livre important pour ceux qui s’intéressent à l’histoire des idées, à l’histoire des Etats-Unis et aux remèdes concrets à apporter aux maux qui rongent l’Europe.
Sylvain
P.S. : une critique quand-même sur cette édition : il n’y a ni sommaire, ni index, ce qui rend la consultation après lecture difficile et un peu hasardeuse.
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Stéphane Courtois : « Du passé faisons table rase ! »
Ed. Robert Laffont (2002.
« Le livre noir du communisme » est un gros volume publié en 1997. Une demi-douzaine d’historiens tentaient sous la direction de Stéphane Courtois de faire le bilan du communisme sous l’angle de la violence qu’il a exercé partout où il a pu : le sous-titre du livre était d’ailleurs « Crimes, terreur, répression ».
L’accueil a été pour le moins mouvementé. En France, relativement peu de voix se sont élevées pour souligner le sérieux du travail de ces historiens et la qualité de leurs recherches. En revanche, la plupart des journalistes et intellectuels de gauche se sont acharnés sur les conclusions de Stéphane Courtois qui devant l’omniprésence du crime dans le communisme tentait de comprendre le pourquoi de toute cette violence. Il a été insulté et traîné dans la boue comme personne depuis les grandes heures du stalinisme triomphant.
Depuis, le temps a passé et le « Livre noir » a été publié dans 25 pays. Bien souvent, la traduction a été complétée par un chapitre qui fait le point sur les crimes communistes dans le pays en question.
Le livre publié en octobre 2002 sous le titre
« Du passé faisons table rase ! Histoire et mémoire du communisme en Europe »,
toujours sous la direction de Stéphane Courtois et toujours aux éditions Robert Laffont est organisé autour de la traduction en français de ces « suppléments » qui représentent un peu plus de la moitié du livre. On a ainsi de nouveaux chapitres de l’histoire des crimes communistes consacrés à l’Estonie, à la Bulgarie, à la Roumanie et à l’ex-Allemagne de l’Est. S’ajoutent encore un chapitre sur le communisme italien et un chapitre consacré aux communistes grecs.
La deuxième moitié de l’ouvrage est constituée d’une part par une longue introduction de Stéphane Courtois qui fait le point sur la question et qui répond à certains de ses détracteurs et, d’autre part, par des chapitres plus généraux qui examinent l’usage de la violence par les communistes.
Si vous vous intéressez à l’histoire du communisme - et qui pourrait y être indifférent ? - ce livre est passionnant et tout aussi terrifiant d’ailleurs que le « Livre noir ». Nous savons tous que les communistes ont commis des crimes atroces mais là, on se rend compte que la réalité était encore bien pire que ce que nous croyions.
L’amnésie à l’égard des crimes du communisme et la complaisance envers cette idéologie que l’on rencontre encore trop souvent sont vraiment inacceptables.
Sylvain
Références complémentaires :
- « Un pavé dans l’histoire : le débat français sur "Le Livre noir du communisme" » de Pierre Rigoulot et Ilios Yannakakis (Laffont, 1998) ;
- « "Le Livre noir du communisme" en débat : les critiques, les auteurs, mémoire et jugement », revue « Communisme » n°59-60 (éd. L’Age d’Homme, 2000).
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Colin Turnbull : « Les Iks : Survivre par la cruauté : Nord Ouganda »
Edition originale : « The Mountain People » (1972).
Editions françaises : Stock (1973) et Plon, col. "Terre humaine" (1987).
Réédition : Pocket n°3024.
Traduction : Claude Elsen.
Les Iks (environ 2 000 personnes) sont un peuple de chasseurs vivant dans le nord de l’Ouganda. Après l’indépendance du pays au début des années soixante, le gouvernement ougandais a créé un parc naturel protégé sur une grande partie du territoire traditionnel de chasse des Iks et les a désarmé. Les Iks étaient censés se convertir à l’agriculture pour survivre. Le problème est que les territoires qui leur ont été proposés étaient très arides et impossible à cultiver. Les Iks sont donc resté sur leur territoire ancestral et ont commencé à souffrir de la faim.
Cette famine a durée des années et a eu des conséquences sociales incroyables : la société iks s’est désagrégée et chaque individu s’est isolé des autres. Rien n’y a résisté, ni la famille, ni la religion traditionnelle. Tout les moyens sont devenus bons pour survivre à n’importe quel prix.
Les parents ne sont pas solidaires entre eux et ne s’occupent de leurs enfants que jusqu’à l’âge de trois ans, après quoi, ils doivent se débrouiller seuls. Les vieillards sont abandonnés et on n’hésite pas à littéralement leur retirer la nourriture de la bouche.
Colin Turnbull, déjà un ethnologue chevronné à l’époque, s’est retrouvé un peu par hasard en mission chez les Iks et a passé un an avec eux en 1965-1966. Ce livre est son témoignage sur ce qu’il a vu et a vécu. Les situations historiques comparables sont les conditions de vie dans les camps de concentration nazis (notamment à Auschwitz) et la grande famine en Ukraine des années 1932-1933.
Je regrette que l’auteur qui tombe parfois dans un discours un peu moralisateur, n’insiste pas plus sur la responsabilité écrasante des « hommes de l’Etat » ougandais qui ont préféré protéger des animaux au détriment d’êtres humains.
Le livre est complété par le texte d’une pièce de théâtre inspirée du livre et mis en scène par Peter Brook. On trouve également une postface de Jean Malaurie, le directeur de la collection, intéressante mais trop politiquement correcte (Ah, la « loi de la jungle du marché » !) et un témoignage de Joseph Towles, un jeune ethnologue noir américain qui a accompagné Colin Turnbull. Un mot sur ce dernier texte, écrit bien après les faits en 1987 : Towles est tellement obnubilé par sa joie de fouler la terre de ses ancêtres qu’il n’a presque rien vu de l’inhumanité que décrit Turnbull. Un décalage impressionnant !
Un livre à lire pour voir de quoi l’être humain est capable dans certaines conditions extrêmes.
Sylvain
Extrait :
« Il ne faut donc pas s’étonner si la mère rejette son enfant lorsqu’il a trois ans. Elle l’a nourri au sein, de mauvais gré, et s’est occupée de lui pendant trois longues années ; désormais, il n’a qu’à se débrouiller. Avant qu’il ne sache marcher, elle le porte sur son dos, attaché par une lanière de cuir. Lorsqu’elle s’arrête quelque part, à un trou d’eau ou dans son champ, elle détache cette lanière et laisse littéralement le bébé tomber par terre, en riant s’il se fait mal, comme je l’ai vu faire plus d’une fois à Bila ou à Matsui ; puis elle vaque à ses occupations sans plus s’occuper de lui, souhaitant presque qu’un prédateur l’en débarrassera.
Un tel abandon s’est produit alors que j’étais à Pirré, et la mère en fut ravie ; elle était débarrassée de son enfant ; elle n’aurait plus à le porter et à le nourrir, et en outre cela signifiait qu’il y avait dans les parages un léopard qui serait plus facile à tuer lorsqu’il dormirait après avoir mangé l’enfant. Les hommes se mirent en route, trouvèrent effectivement le léopard endormi (il avait mangé l’enfant, sauf une partie du crâne), le tuèrent, le firent cuire et le mangèrent, enfant compris. »
Pocket, page 109
A propos d’un autre ethnologue très célèbre :
« Le même professeur Leach est aussi plutôt caustique à l’égard de l’expérience sur le terrain du professeur Lévi-Strauss. Je cite : « Dans tous ses voyages au Brésil, Lévi-Strauss n’a jamais pu rester au même endroit plus de quelques semaines... Il n’a jamais voulu parler couramment avec un seul de ses informateurs indigènes dans sa langue maternelle. »
Denis Cannan in « Les Iks », Pocket, page 312.
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Patrick Declerck : « Les naufragés »
éd. Plon (2001), col. Terre Humaine
rééd. Pocket n°11846 (2003)
Depuis que je m’intéresse au libéralisme, j’ai toujours trouvé importantes et intéressantes les analyses et les réponses apportées à la « question sociale ». Autrement dit, que deviendraient dans une société libre, les plus pauvres et les plus démunis d’entre nous ? Et d’abord, y aurait-il des miséreux et des clochards dans un tel monde ?
Ma conviction est que plus une société est libre, libérale ou libertarienne, meilleur sera le sort des plus pauvres. On doit pouvoir le démontrer mais ce n’est pas mon propos ici.
(Je pense que le taux de chômage dans un pays, par exemple, est inversement corrélé au degré de liberté.)
Le livre que je voudrais présenter est à la fois un témoignage et une enquête sur le sort des clochards aujourd’hui à Paris. L’auteur est à la fois psychanalyste et ethnologue. Il a lui-même vécu un certain temps dans la rue et a ouvert la première « consultation d’écoute » destinée aux SDF en 1986.
Le nombre d’abord : environ 15 000, rien qu’à Paris, à vivre en permanence dans la rue.
Les conditions de vie sont atroces, la violence, l’alcoolisme sont omniprésents. Les maladies sont courantes, mal soignées et invalidantes, les « addictions » aux médicaments et aux drogues très courantes.
Le récit de l’auteur est impressionnant. A aucun moment, il ne tombe dans le misérabilisme. Non, la misère n’ennoblit pas l’homme, au contraire, elle l’avilit. Des extraits de témoignages écrits par des clochards sont aussi insérés dans le livre.
Patrick Declerck est aussi très critique sur les pratiques institutionnelles visant à « réinsérer » des gens qui ne l’ont probablement jamais été.
Dans une deuxième partie du livre, l’auteur tente de comprendre comment on peut en arriver là. A entendre les clochards eux-mêmes, leurs parents étaient très souvent désunis, leur femme les a quitté et l’alcool a achevé le travail. Patrick Declerck pense que l’alcoolisme est souvent premier et que la souffrance doit remonter loin dans le passé de ces individus, peut-être même, dit-il, à la vie intra-utérine.
C’est là que le livre m’a paru insatisfaisant. Je ne pense pas que les concepts psychanalytiques utilisés par l’auteur expliquent grand chose et je trouve qu’il prend trop à la lettre les affirmations des clochards, alors qu’il dit lui-même que ces derniers finissent par élaborer une sorte de discours passe-partout que les travailleurs sociaux et autres psychologues qui les côtoient s’attendent à entendre.
Il faudrait faire une sorte d’enquête de police pour tenter de reconstituer le parcourt des SDF afin de tenter de comprendre ce qui leur est réellement arrivé.
On pourra également être gêné par une présence, certes discrète mais quand-même, de l’imagerie marxiste concernant la « responsabilité » de la société. J’imagine l’auteur incapable de dépasser les clichés trotskistes de sa jeunesse, mais ça, c’est surtout une question de culture...
Par-delà ces réserves, voilà un livre passionnant sur les plus pauvres des plus pauvres.
P.S. : pour continuer la réflexion, voici un lien vers un texte de Pascal Salin sur le problème du salaire minimum obligatoire et l’exclusion que ce mécanisme crée :
"Le SMIC, machine à exclure"
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Guy Sorman : "Les enfants de Rifaa : musulmans et modernes"
Ed. Fayard (2003)
(compte-rendu rédigé en février 2003)
Ce livre est le résultat d'une enquête d'un an de l'auteur dans un certain nombre de pays musulmans.
Guy Sorman est bien connu pour ses idées libérales. Son premier livre, déjà une enquête, s'est appelé "La révolution conservatrice américaine".
Dans ce nouveau livre, il nous fait voyager au Maroc, en Turquie, en Egypte, en Indonésie, au Koweit, etc. Le titre est une référence à Rifaa el-Tahtawi, un théologien égyptien qui voyagea à Paris au 19e siècle et qui, de retour dans son pays tenta de concilier sa foi musulmane et le savoir occidental. "Les enfants de Rifaa" sont donc des musulmans qui tentent d'acclimater certaines valeurs et certaines méthodes inventées en Occident en terre d'islam.
Guy Sorman est un observateur passionné par son sujet, subtil dans ses observations et très nuancé dans ses jugements. Il évite soigneusement tout manichéisme et ne perd jamais de vue ses idées politiques et morales libérales.
Tout, dans ce livre est passionnant mais je retiendrai plus particulièrement :
1 : l'appel aux Occidentaux pour qu'ils révisent leur politique étrangère qui se borne trop souvent à soutenir des tyrans sous prétexte de juguler l'islamisme (démarche similaire à celle d'Alain Madelin sur le même sujet) ;
2 : il soutient la pression américaine sur l'Irak visant à rendre inoffensif cette dictature (Guy Sorman rappelle que le "baasisme", l'idéologie officielle du régime, est inspiré du fascisme des années trente) ;
3 : le récit de son voyage en Arabie Saoudite qui nous montre une réalité beaucoup plus nuancée que l'image que nous en avons en Europe : le régime saoudien n'est certes pas une démocratie mais il est beaucoup moins violent avec son propre peuple que la dictature militaire égyptienne par exemple ;
4 : l'appel à dépasser les images d'Epinal sur l'islam et sur les Arabes et à soutenir les musulmans libéraux dont, trop souvent, nous ne savons même pas qu'ils existent !
La partie du livre qui appellera le plus la controverse est peut-être le chapitre consacré à Israël : Guy Sorman est Juif mais anti-sioniste. Il ne porte pas Israël dans son coeur et pense que cet Etat est condamné à disparaître.
On pourra également ne pas être aussi enthousiaste que lui en ce qui concerne l'" affirmative action" à l'américaine...
Un dernier chapitre est consacré au "problème arabe" de la France actuelle : là aussi, il est nuancé mais direct dans ses opinions et on se demande comment on a pu ne pas voir ce qu'il nous dit ! Guy Sorman pense qu’il n’y a pas de problème avec l’islam en tant que tel en France mais un problème plutôt « ethnique »avec les Kabyles et les Arabes immigrés en France.
Il incrimine surtout la politique du logement social qui induit la constitution de véritable ghettos (il fait remarquer que les immigrés qui s’en sortent sont d’abord ceux qui ont quitté les cités) et l’école qui est incapable de choisir entre l’intégration dans le sens traditionnel du terme et un véritable multi-culturalisme. L’école en crise, est donc, dit-il, tombée dans le « rien ».
Un dernier mot sur le style : lumineux !
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