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David S. Landes : « Richesse et pauvreté des nations ».
Editions Albin Michel (2000).
Edition originale : « The Wealth and Poverty of Nations »( 1998).
Traduit par Jean-François Sené.
David S. Landes est né en 1924. Il a été professeur d’histoire et d’économie à Harvard et a l’habitude de publier des livres assez volumineux dont l’ambition est de faire le tour d’un problème ou d’un phénomène historique donné.
« Richesse et pauvreté des nations » est sous-titré « Pourquoi des riches ? Pourquoi des pauvres ? » et l’auteur tente de trouver des explications au fait que certaines nations ou certains états sont riches alors que d’autres sont pauvres. Les libéraux pensent que si leurs idées étaient appliquées, la pauvreté et la misère reculeraient ou même disparaîtraient, c’est dire si les questions posées ici par David S. Landes sont cruciales.
Ce livre comporte des chapitres tout à fait passionnants et d’autres qui m’ont semblé nettement moins aboutis. Détaillons.
Parmi les réussites incontestables, le rappel que les conditions naturelles ne sont pas partout identiques. Certaines régions du monde bénéficient d’un climat tempéré favorable à la vie humaine alors que d’autres sont le paradis des virus et des bactéries. L’auteur rappelle que seules la science et la technologie permettront d’apporter des réponses à ces graves difficultés (page 38).
Deuxième point important : l’influence de la culture. Les êtres humains ne partagent pas les mêmes croyances ni les mêmes valeurs et ces différences ont des effets considérables dans la vie et le développement des sociétés. David S. Landes se pose en héritier de Max Weber qui a voulu établir un lien entre les valeurs protestantes et le développement du capitalisme (son ouvrage le plus célèbre « L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme » date de 1905 mais n’a été traduit en français qu’en... 1964!).
Troisième point positif : l’affirmation que la place des femmes et la façon dont elles sont traitées sont de bons indicateurs du niveau de développement atteint par une société.
David S. Landes est imperméable aux diktats du politiquement correct et refuse tout relativisme. Il est hostile au socialisme et au communisme et fustige la socialisation des moyens de production. Il pense aussi que la catastrophe de Tchernobyl en 1986 a joué un rôle déterminant dans l’effondrement de l’URSS.
Tout cela est très positif bien entendu mais à côté de cela il y a des affirmations qui me semblent étranges ou contradictoires avec tout cela.
Et d’abord l’affirmation que l’Etat peut avoir un rôle positif à jouer dans l’économie. M. Landes justifie par exemple les barrières douanières quand une industrie est jeune et trop faible pour résister à la concurrence mais il reconnaît pourtant que
« à ces questions, il n’est pas de réponses simples, non ambiguës. C’est une chose de prôner une politique active du gouvernement, une toute autre chose de prendre et d’appliquer les mesures qui conviennent » (page 669). C’est là la porte ouverte à l’arbitraire, au clientélisme voire à la corruption, phénomènes dont souffrent beaucoup d’états mêmes développés. Les hommes de l’Etat de tous les pays du monde ont une tendance forte à violer les droits de propriété quand cela va dans le sens de leur intérêt. Qui décidera que telle intervention est bonne et telle autre mauvaise ? Qui sera responsable si les choses tournent mal ?
Nous savons bien que dans nos états démocratiques et contrairement à ce qu’ils arrivent trop souvent à faire croire, l’horizon des hommes politiques n’est pas le long terme mais la prochaine élection.
David S. Landes semble ainsi établir une différence radicale entre des Etats de type totalitaire comme l’empire chinois, l’empire aztèque, l’URSS ou les tyrannies africaines d’inspiration socialiste d’après les indépendances et les Etats développés démocratiques qui peuvent certes parfois aller trop loin dans le protectionnisme ou dans leur nombre de fonctionnaires mais qui fondamentalement sont « bons »...
Et pourtant, les dirigeants de ces démocraties sont responsables du colonialisme, de deux guerres mondiales, ils n’ont pas hésité à commettre des crimes quand ils en ont eu l’occasion (1) et aujourd’hui ne cessent de vouloir régenter nos vies toujours plus précisément... tout à fait comme leurs homologues des systèmes plus franchement totalitaires. Certains diraient que les hommes de l’Etat des pays démocratiques sont plus intelligents et qu’ils ont compris qu’ils pouvaient gagner beaucoup plus sans avoir à construire des camps de concentration...
David S. Landes ne justifie pas sa position étatiste et se contente de l’affirmation que
« l’Etat peut faire (fera) certaines choses -la défense, la police - mieux que l’entreprise privée » (page 666). Sur ce sujet central pour un anar-cap, il ne donne aucune précision et n’avance pas le moindre argument.
Le problème de David S. Landes me semble-t-il est qu’il est prisonnier d’une lecture littérale et erronée de l’oeuvre d’Adam Smith « Enquête sur la nature et les causes de la richesse des nations » (1776) dont Philippe Simonnot a expliqué dans le chapitre 9 de son livre « L’erreur économique » (Editions Denoël, 2004) tout le mal qu’il faut en penser...
Sylvain
(1) : Juste un exemple : lire l’encadré « Le retour forcé en URSS des prisonniers soviétiques » par Stéphane Courtois et Jean-Louis Panné in « Le livre noir du communisme » (Editions Laffont, 1997, pages 351-354).
Liens :
Un entretien avec David S. Landes paru dans la revue protestante
« Réforme »
ICI et un compte-rendu de lecture très favorable par Alexandre Delaigue
LÀ.
P.S. : David S. Landes a également publié un remarquable ouvrage sur l’histoire de l’invention des horloges et sur leur rôle dans la naissance du monde moderne. Il s’agit de « L’heure qu’il est » dont l’édition française a été publiée chez Gallimard en 1987.